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Article écrit par Lionel Picard (ONCFS) suite au recensement des herbiers de zostères dans le Golfe du Morbiahn avec le CKCV.

 

Les zostères, marines et naines, sont des plantes marines, et non des algues, qui se développent sur les zones de vasières des côtes de la Manche et de l'Atlantique. Ces plantes jouent des rôles divers et essentiels pour le milieu côtier : dynamique sédimentaire, zones de nourrissage et de développement de nombreux organismes, etc. Elles constituent une ressource alimentaire de première importance pour les oiseaux migrateurs et hivernants. Par la superficie qu'ils occupent, les herbiers de zostères du golfe du Morbihan sont les plus importants de Bretagne et les deuxième en France après le bassin d'Arcachon. Leur préservation constitue un enjeu fort.

Généralités sur les herbiers de zostères

Les zostères sont des phanérogames marines qui se développent sur les sédiments sableux et sablovaseux intertidaux et infralittoraux des côtes de la Manche et de l'Atlantique. Elles forment des herbiers, parfois denses, comparables aux prairies terrestres. Le long des côtes Manche/Atlantique françaises deux espèces se rencontrent sur les estrans et petits fonds côtiers, la zostère marine et la zostère naine (Zostera marina et Zostera noltii).
La répartition des deux espèces de zostères sur les sédiments marins est différente : Zostera marina se développe dans la zone infralittorale, depuis la partie exondable aux basses mers jusqu’aux profondeurs de 3 à 4 m ; Zostera noltii se développe au milieu de la zone médiolittorale à des taux d’émersion de 40 à 70 % en moyenne (exceptionnellement 10 m). Ainsi les deux espèces ne se rencontrent ensemble sur l’estran qu’au niveau des limites basses de la zostère naine et hautes de la zostère marine.


Herbiers de zostère naine à fleur d'eau près de l'île de Boëde. Lionel Picard, ONCFS

Le rôle écologique des herbiers de zostères revêt des aspects très divers et explique l’intérêt tout particulier porté à cet habitat dans le cadre de la gestion et de la conservation de l’environnement côtier :
-    Stabilisation du sédiment
-    Oxygénation de l’eau
-    Zones de haute production primaire
-    Espèces structurantes des communautés benthiques
-    Habitat de fixation pour de nombreuses algues et invertébrés
-    Habitat /refuge temporaire ou permanent / zone de reproduction pour de nombreux poissons, crustacés (crevettes) et mollusques (seiches)
-    Ressource alimentaire essentielle pour plusieurs oiseaux herbivores au cours de leur hivernage (
canards siffleurs, canards colverts, canards pilets, sarcelles d’hiver, bernache cravant). Ceci est particulièrement vrai pour les Bernaches cravants, qui peuvent consommer presque complètement la biomasse épigée des herbiers de Zostera noltii plus accessibles avant la chute naturelle des feuilles (les zostères sont des plantes annuelles).

Deux types de dynamique s’observent dans l’évolution des herbiers de Bretagne depuis le début des années 90 :
- des régressions locales sous les impacts d’aménagements portuaires, de l’augmentation du nombre des corps morts dans les zones de mouillage, de l’augmentation des surfaces concernées par les marées vertes, de l’augmentation de la turbidité et des dépôts de particules fines
- des extensions dans les zones de milieux plus ouverts, là où ces facteurs anthropiques ne sont pas actifs et où les herbiers s’étendent dans des proportions non négligeables. Cette extension tendant à se faire non pas vers des zones plus profondes mais latéralement et/ou plus haut sur l’estran.

Malgré leur abondance locale, les herbiers de zostères sont très vulnérables en raison :
- De leur sensibilité aux stress et aux perturbations naturelles et anthropiques. Ceci est apparu dramatiquement dans les années 1930 lorsque les herbiers de Z. marina furent presque totalement détruits par la maladie appelée "wasting disease" dans tout l’Atlantique nord. Après avoir semblé au bord de l’extinction, l’espèce s’est lentement réinstallée dans de nombreuses localités.
- De nouveaux types d’activités : il s’agit de la pêche à pied des palourdes, particulièrement dans le golfe du Morbihan, et le mouillage estival des bateaux de plaisance dans les abris naturels, zones de prédilection des herbiers. L’extension de l’ostréiculture et de la mytiliculture induit localement de très fortes régressions des surfaces colonisées par les herbiers.
- Des extractions de sédiments, des aménagements portuaires et surtout à plus vaste échelle l’eutrophisation des eaux côtières : ces facteurs stimulent aussi bien le phytoplancton que les algues épiphytes, réduisant ainsi l’accès de la lumière aux feuilles.

Les herbiers sont devenus ces dernières années des espèces "phares". Habitat à forte valeur écologique et patrimoniale, il bénéficie de mesure de gestion et de protection à différentes échelles. La prise de conscience est maintenant globale. C’est dorénavant au niveau mondial que l’ensemble des phanérogames marines est considéré comme un type d’écosystème à haute valeur, induisant partout des démarches de conservation et focalisant les recherches scientifiques à un niveau d’intérêt équivalent aux récifs coralliens et aux mangroves. Les herbiers sont recensés parmi les habitats menacés dans la "Directive Habitat" (92/43) et reconnus désormais comme des habitats d’intérêt majeur, nécessitant des mesures de gestion et de conservation particulières. La "Directive Cadre Eaux" (2000/60/CE), qui a pour objectif de prévenir et réduire la pollution des eaux et améliorer l'état des écosystèmes aquatiques, a également retenu les herbiers comme habitat devant être considéré pour évaluer la qualité des masses d’eaux.
Les herbiers de zostères sont également répertoriés par la "Convention OSPAR" pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du nord-est, parmi la liste des espèces et habitats menacés et/ou en déclin (2004).

Les herbiers de zostères dans le golfe du Morbihan

Le golfe du Morbihan présente l’un des deux plus importants herbiers de zostères français après le bassin d’Arcachon. Il accueille un échantillon représentatif de ces habitats, avec pour Zostera noltii, 529 ha, dont trois ensembles de grande densité (Tascon, Baie de Sarzeau, Mancel), et pour Zostera marina, 804 ha. La superficie de ces herbiers est significative au niveau européen.
Les conditions climatiques du golfe du Morbihan influencent la saisonnalité des herbiers qui disparaissent pendant l'hiver. La dégénérescence et la mortalité des feuilles s'observe très facilement sur les plages environnantes, avec l'accumulation des zostères mortes, autrefois utilisées pour bourrer les matelas ou servir de litière pour les animaux (L. Marsille, 1935 in Bulletin de la Société Polymathique).
Les zones d'herbiers du golfe, particulièrement celles à Zostera noltii, accueillent plus de la moitié de l'effectif d'oiseaux migrateurs et hivernants qui viennent s'y nourrir. Les principaux consommateurs sont les bernches cravants et divers canards dont le canard siffleur.

Ces herbiers ont font l'objet de suivis réguliers réalisés depuis les années 60 par Roger Mahéo et Pierre Denis, puis aujourd'hui dans le cadre du programme REBENT. Une cartographie a été également réalisée en 2002 par Bernard & Chauvaud dans le cadre de l'élaboration du document d'objectif (DocOb). Plusieurs études ont également été menées sur le golfe afin de mieux connaître les spécificités locales de ces herbiers, leur sensibilité aux substances exogènes, leur dynamique, et leur rôle écologique, les liens avec les animaux qui les consomment comme les bernaches (cf. références en fin d'article). Ces divers travaux sont consultables à la bibliothèque de l'ODEM (Observatoire Départemental de l'Environnement du Morbihan).

 En 2012, le CKCV a participé à un programme d'actualisation de la cartographie de ces herbiers aux côtés de l'ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage) et de l'Ifremer. Associé à de bonnes conditions météorologiques, la facilité d'accès sur les sites peu profonds avec un kayak est très pratique pour repérer l'emplacement des herbiers de Zostère marine. Les kayakistes peuvent jouer un rôle intéressant pour faire remonter des informations concernant la localisation de ces herbiers.



Cartographie des herbiers réalisées en 2000-2002 (sources : Bernard & Chauvaud)


Vue aérienne de l'anse de Tascon en septembre 2009, l'un des plus beau herbier                                    DREAL Bretagne, prestataire privé
de zostère naine du golfe du Morbihan. On le voit bien se dessiner de part et d'autre
du chenal, à une saison où il est au plus dense et dynamique.